Résumés par intervenant > Romain Christina

L'importance du corps de l'enseignant dans l'action pédagogique est reconnue depuis longtemps dans les recherches en éducation (Cadet, 2014 ; Pujade-Renaud, 1983 ; Tellier & Cadet, 2014). Ce qui est moins questionné, c'est sa relation à l'espace dans lequel il s'expose et s'exprime. L'enjeu de l'espace dans les gestes professionnels de l'enseignant : comment le corps et la parole contribuent-ils à la mise en scène de la planification interactionnelle de la séance de classe et à son efficacité au regard des apprentissages des élèves (Goffman, 1973 ; Cicurel, 2011 ; Tellier, 2022) ? L'enjeu des gestes interactionnels professionnels de l'enseignant (Romain & Rey, 2022) est ainsi au cœur de notre questionnement.

Afin de mieux comprendre cet enjeu, nous analysons la mise en scène interactionnelle incarnée en questionnant les pratiques langagières, les outils mimo-posturo-gestuels et l'occupation de l'espace classe. Ces outils contribuent selon nous à intégrer de la bienveillance et de l'empathie au cœur de la dynamique interactionnelle de classe. Masson (2018 : 6) décrit ainsi la bienveillance comme « une attitude positive envers quelqu'un », celle-ci incluant « l'exigence ». Ces notions se positionnent au cœur des programmes officiels depuis plusieurs années et visent à être intégrées tant à la pratique de classe qu'à la formation même des enseignants. Des études (Seligman, 2011 ; Siekkinen et al., 2013) montrent le lien entre l'image positive des élèves sur eux-mêmes et l'empathie de leur enseignant.

Notre corpus est constitué de deux enregistrements vidéo constitutifs de deux séances de classe de CE2 animées par deux jeunes enseignants sur une même activité de lexicographie. Le premier enseignant se révèle en difficulté en termes de gestion interactionnelle de classe, la seconde enseignante est, au contraire, davantage efficace au regard notamment des productions langagières produites à destination des élèves et proposées en retour par ces derniers. 

A travers l'analyse du corpus, nous questionnerons donc la maitrise de l'espace à des fins professionnelles en début de carrière. Dans ce contexte, nos résultats montrent que les difficultés rencontrées (mettre les élèves à la tâche, capter l'attention, réguler le niveau sonore, etc.) sont liées à un problème de positionnement interactionnel et de gestion de l'espace classe à travers les choix discursifs opérés par l'enseignant. Autrement dit, nous envisageons l'espace comme un espace dynamique, pluriel, à appréhender en termes de multimodalité de la communication interactionnelle. Nous observerons que l'espace sensible de la séance se situe au cœur de l'espace intérieur de la classe et détermine le processus même d'enseignement/apprentissage. Par espace sensible, nous entendons le corps de l'enseignant tout comme de celui des élèves dans l'espace-classe (et son histoire, son devenir) dans sa dimension incarnée tant au regard des déplacements dans la classe que des différents mouvements moteurs, dont celui de l'articulation et de la production langagière.